Voici le témoignage de Monika, survivante de la prostitution qui a bénéficié d’un parcours de sortie grâce au Mouvement du nid.
J’ai travaillé une année en Allemagne comme prostituée.
Après plusieurs années de perdition dans plusieurs pays, je suis arrivée en Allemagne. Le système est organisé de façon à ce que chaque travailleur indépendant soit enregistré et paye ses impôts. On nous envoie à l’hôpital pour un questionnaire mais aucun test médical obligatoire. Puis, dans la foulée, on s’enregistre au centre des impôts. Enfin, on nous donne nos cartes de travail.
J’ai travaillé pour plusieurs agences d’escorts et une maison close à Cologne. On paye de 35 à 40% de nos gains à ces établissements. Certains nous reçoivent en entretien, d’autres s’en fichent complètement. Tous ne sont intéressés que par le gain très lucratif. Après chaque RDV ou chaque journée de travail, on reçoit une facture qu’on transmet au comptable. Encore un métier qui profite allègrement du système prostituteur. Même mon comptable ne répondait par à mes questions par email, aucun suivi, aucun conseil juridique. Mon seul échange avec lui est la facture pour ses honoraires. Et quand je m’agaçais de sa sourde oreille, il m’envoyait balader “On verra à la fin de l’année”. Personne ne nous respecte dans ce milieu. Nous sommes des agents payeurs.
Une agence avec laquelle j’ai travaillé avait pour habitude de me faire parvenir les feedbacks des filles sur les clients avant que je ne les rencontre. J’ai refusé un client car il avait de mauvais avis. L’agence m’a renvoyé en me menaçant de me faire payer les honoraires sur ce RDV non effectué. Je n’ai jamais cédé. Je ne leur dois rien. C’est eux qui nous doivent tout. Les lois allemandes nous autorisent à refuser un client mais les proxénètes ne l’entendent pas de cette oreille.
Une autre agence me harcelait plusieurs fois par jour. La gérante m’envoyait des photos de ses chats. Elle voulait m’en donner un. Dès que je voyais son numéro s’afficher, j’avais des palpitations tant elle m’écrivait sans relâche pour connaître des détails de ma vie. Elle me racontait la sienne. Elle aspirait mon énergie. Un jour, j’ai craqué. Je lui ai dit d’arrêter. Elle m’a renvoyé. Il y a aussi beaucoup d’isolement social et de misère sentimentale chez les proxénètes mais je ne les plains pas.
Il y a aussi beaucoup de clients qui réclament des prestations sans préservatif. Une agence m’a même dit “Avec la loi de 2016, ça n’a rien changé, les filles continuent à le faire”. Il y a ceux qui se plaignent de la “mauvaise qualité” et les agences ne veulent pas les perdre. Alors, on peut avoir moins de travail. Il y en a un qui m’a proposé une cadeau ”très généreux” offre selon ses propos pour éjaculer à l’intérieur. Il m’a proposé 250€ en plus. Il insistait “avec le préservatif, on ne sent rien”. On prend une claque ces jours là. On réalise que certains clients mariés ne se rendent même pas compte du danger. On est souvent plus averties qu’eux. Ce même client avait commandé le room service et m’avait demandé de me cacher dans la salle de bain quand le personnel a livré. Dans un autre sens, il savait que ce qu’il faisait est honteux. J’avais pitié de lui.
Les clients ne sont pour la majorité pas désagréables mais ils veulent qu’on les aime. Quand ils deviennent réguliers, ils nous demandent si on a pensé à eux, s’ils nous ont manqué. On ment tout le temps. Je ne peux occulter le fait que ce sont des hommes seuls et tristes. C’est le seul point commun qu’on a avec eux.
J’en ai eu un un jour qui m’avait réservé pendant 18 heures. Ça a été une horrible expérience. J’ai dû réclamer un dîner qu’il refusait de payer. On est des objets pour eux. On n’a pas le droit d’avoir faim ou soif. Il m’a dit “Quand je vais en Thaïlande, je paye 300€ pour 24 heures et la fille donne un bon service”. Tout est dit ! Les agences savent toujours comment on nous traite mais gardent les clients en pensant qu’il y en aura bien une qui ne se plaindra pas.
Les clients font parfois du chantage, demandent des réductions, demandent qu’on réserve les chambres d’hôtels à notre nom… Les agences cèdent toujours en faveur du client.
Le gouvernement allemand contrôle parfois. Il réserve des filles dans un hôtel et demande à voir nos cartes de travail. C’est juste pour vérifier si on est enregistrées et si on paye nos impôts. Il n’y a jamais aucun contrôle médical.
Dans les agences, il n’y a quasiment que des allemandes. Dans les maisons closes, les bordels, les FKK, il y a une majorité écrasante de roumaines, hongroises et bulgares. Elles travaillent pour 30-50€. C’est l’abattage.
Tous les mois, je me rendais à l’hôpital public pour voir la gynécologue. C’est un service gratuit mais pas obligatoire. Dans la salle d’attente, il y avait souvent des filles très jeunes avec leurs “petits amis”. Elles ne souriaient pas. J’étais outrée de voir cela. J’en avait discuté avec la gynécologue. Elle m’avait avoué à demi-mot qu’elle ne trouvait pas cela normal mais que la loi allemande autorise les filles à avoir des maris et des copains. Ces filles là, si elles travaillent dans un bordel, ont deux proxénètes et elles ne s’en rendent pas compte.
Sur la zone géographique restreinte de 35km où je vivais, il y a une trentaine d’agences d’escorts, sans compter les bordels, les FKK, les indépendantes… En Allemagne, tout me semble permissible. On prétend contrôler les filles et les établissements mais j’avais plutôt le sentiment que ce qui importe réellement ce sont les impôts qu’on doit reverser.
Je me rends compte en discutant avec les filles qu’aucune n’est heureuse de faire ce travail. On y va pour des raisons économiques. Dans ma maison close à Cologne, on accueillait les clients en robe et talons. Il fallait être chic. C’est le fils du patron qui nous gérait. Il a 21 ans. Il y avait des vols parfois. On soupçonnait la réceptionniste. Beaucoup de filles avaient des enfants qu’elles élevaient seules. Il y avait une jeune de 20 ans. Elle est arrivée en janvier et avait accouché de son premier enfant en décembre de l’année précédente. Son copain ne travaillait pas. Il gardait le bébé. Elle trouvait cela normal. Certaines sont en rupture familiale, d’autres ne parlent pas l’allemand, ni l’anglais. Ça ne semble pas déranger les clients. Elles travaillent quand même. Dans ces établissements, on est chosifiées. Il n’y a que des prestations sexuelles, aucun échange humain, que du bestial. Je ne vois pas ce qu’il y a d’épanouissant. Je n’y allais que pour combler quand je n’avais pas assez de travail avec les agences. On se créé des besoins d’argent. On devient malade avec ça.
C’est la troisième fois que j’arrête la prostitution en sept ans. Avec le nid, j’espère que ce sera la dernière. Parfois, j’ai l’impression d’avoir donné sept ans de ma vie à une audience fantôme sans prendre le temps de me faire plaisir à moi. La vie peut être courte. On ne sait jamais quand ça s’arrête. Mon expérience passée me permet de voir certains aspects psychologiques chez les gens. Ma psychothérapeute m’aide à en faire une force pour l’avenir. Dans le passé, il m’est arrivé de me souhaiter une maladie pour que tout s’arrête. Aujourd’hui, je sais que je suis jeune et mon avenir peut être bâti car la prostitution ne m’a pas tuée.
Je ne peux que dresser un bilan catastrophique du système prostitutionnel allemand.
Monika

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