TÉMOIGNAGE, PROSTITUTION : « 150 euros, Est-ce que ça en valait la peine ? »

3 Mai 2020, 23h12, message privé sur la page Facebook de notre collectif.
Une femme prend le courage de parler.
Ce nouvel article est consacré à cette anonyme, forte et courageuse, qui nous a envoyé son histoire, parce qu’elle veut, elle aussi, porter une pierre à l’édifice du mouvement pour la libération des femmes.
Tous les témoignages sont les bienvenus. Vos voix sont des graines d’espoir. Alors merci à cette anonyme et à toutes les autres qui nous contactent. Vous n’êtes pas seules, nous sommes avec vous.

Les membres de CAPP

La prostitution …

C’était un mot vague pour moi. Encouragée par certains. Décriée par d’autres. J’avais en tête les images des femmes victimes des proxénètes et les autres, celles qui ont le choix et qui ne sont pas « forcées ».
Je me faisais une image de la deuxième catégorie, un peu à la Pretty Woman. Je ne sais pas trop comment j’en suis venue à y réfléchir.
J’aime le sexe et je crois que je me suis dit … quitte à le faire gratuitement, autant en profiter pour que ça me rapporte quelque chose. Sauf que j’étais à des lieues de m’imaginer que la prostitution, finalement, ce n’était pas du sexe. C’est de la domination. C’est l’achat d’un corps par des hommes pour leur plaisir.
Le tien ? Ils en ont rien à carrer.
Ils paient alors toi, tes ressentis, on s’en contre-fout. J’ai cru que, dû à mon statut « d’indépendante« , j’étais un minimum « protégée ». Sentiment illusoire.

150€
C’est le prix que j’avais décidé pour monnayer mon corps.

C’est 2 jours et demi de travail dans mon emploi « traditionnel ». Mais dans la prostitution, pour moi, c’était 150€ gagnés en 1h ou parfois 2h, je n’étais pas trop regardante sur la durée. Il y a d’abord eu une phase d’euphorie avec mes premiers 150€ en poche. Je n’avais jamais palpé autant d’espèces auparavant. Et puis, finalement, ça ne s’était pas trop mal passé. Le mec était un peu louche dans son attitude mais il n’avait pas été méchant.
Puis vient le second qui m’ouvre la porte tout nu dans sa chambre d’hôtel, ça annonce la couleur. Il se met à vouloir me pénétrer sans préservatif alors que j’avais explicitement dis que je voulais que le rapport soit protégé. Je l’ai empêché au dernier moment et ai réussi à lui faire enfiler un préservatif.
Il y a cet homme que j’ai rencontré dans le cadre de la prostitution et qui m’a dit qu’il pouvait faire des photos porno et que l’on pourrait se partager la « recette » de ces dernières.

Plus le temps avançait et plus je me suis mise à réfléchir. Les rencontres se passaient relativement bien, même si je sentais que mon esprit commençait à ne plus vraiment être là pendant les rapports. Je n’éprouvais aucun plaisir sexuel alors qu’en temps normal, j’adorais le sexe. J’avais du mal à comprendre pourquoi. Je ne pensais qu’à une chose, c’était de finir au plus vite.

Puis il y a eu ce type. Horrible.
Le dernier « client ». La dernière fois.
La fois où j’ai eu peur pour ma vie.

La fois où je me suis imaginée morte. Jamais je n’avais auparavant ressenti ce sentiment effroyable. Cette peur qui raidit la moindre fibre musculaire. Les battements de cœur qui s’emballent. Une boule énorme dans la gorge. Le souffle coupé. J’arrive chez ce type, il était drogué, l’appartement était sale et empestait la clope et d’autres trucs inqualifiables. A peine franchi le seuil, je voulais déjà repartir. Il a fermé la porte et je me suis dit qu’il était trop tard pour faire marche arrière. On s’est assis et on a discuté. Je ne comprenais quasiment rien à ce qu’il me racontait. J’étais ailleurs, pourtant tous mes sens étaient en alerte. Je lui répondais machinalement, l’esprit déjà loin.

Il me disait de me méfier, de demander l’argent avant, paternaliste à souhait. Il faisait des blagues d’un goût douteux, puis il m’a emmené dans sa chambre. Je vous passerai les détails mais je n’avais aucunement l’envie qu’il me touche. J’avais bien spécifié que je n’embrassais pas mais ça ne l’a pas empêché de fourrer sa langue râpeuse, effets secondaire de certaines drogues, dans ma bouche et j’ai failli vomir.
Il me touchait et pourtant je n’avais qu’une envie, c’était de lui hurler de ne pas le faire mais il m’avait payée donc je n’avais plus le droit de refuser désormais. Sous l’emprise de la drogue, il ne faisait que débander, le rapport n’arrivait pas à aboutir à l’éjaculation.
Éjaculation qui marque généralement un terme à la transaction. J’essayais de le faire éjaculer pour m’enfuir au plus vite, en vain.

Au bout d’un moment, il en a eu « marre« . Il s’est redressé et m’a dit avec légèreté :
 » Tu n’as pas rempli ta part du marché. Rends moi mon fric. »
Je me suis redressée, hagarde. Plaisantait-il ? Je ne sais plus exactement ce que je lui ai répondu mais son regard s’est durci et sa voix est devenue glaçante presque menaçante :
« Je suis sérieux. Rends moi mon fric tout de suite. Tu ne me fais pas jouir donc basta. Tu te rhabilles et tu te barres. »
Je le regarde incrédule, ne sachant pas quoi répondre. La peur devait se voir dans mes yeux. Et je pense que c’est ce qu’il recherchait car tout de suite après il s’est ‘détendu’ en souriant et m’a dit « non, je déconne ». Il a enlevé le préservatif et s’est masturbé pour rebander.
Moi, je reste. Mais… pourquoi je reste au juste ? Pourquoi à ce moment là, je ne prends pas mes jambes à mon cou? Pourquoi d’ailleurs, je n’ai pas tourné les talons lorsque j’étais sur le seuil de la porte ? Pourquoi ?

Puis il enfile de nouveau un préservatif, me pénètre mais moi je suis dans un état second. Je suis clairement hors de mon corps. Là physiquement mais plus vraiment là. Je le laisse finir. Je souffle. La transaction est achevée, je vais enfin pouvoir m’en aller. Enfin. Mais il me parle, encore et encore. Me répète sans arrêt, que, quand même, c’est pas trop prudent de faire ce que je fais, que je pourrais avoir des soucis, tomber sur des psychopathes, me faire dépouiller, me faire tabasser, me faire tuer.

Je suis dans le salon, j’ai mes 150€ dans ma poche. Je les serre, très fort. Je suis sur le point de partir, il part dans sa chambre. 150€. La peur de ma vie pour 150€. Est ce que ça en valait la peine ?

Puis il revient en cachant quelque chose dans son dos. Il recommence avec un sourire malsain :
 » Rends moi l’argent, s’il te plait »

Je ne sais pas quoi dire et lâche un rire nerveux, pensant qu’il « plaisante » encore. Il sort ses mains de son dos et pose un flingue sur la table. Un flingue. Un **tain de flingue. Mon cerveau se déconnecte.
Il me regarde et je froisse avec violence mes 150 pauvres euros. Il sourit encore :
 » C’était sympa mais t’es trop cher. »
Je ne dis rien. Je ne sais pas quoi dire ni quoi faire. Fight, Flew ou Freeze. J’étais complètement sidérée. Freeze. Il avait le doigt sur la gâchette. Il y eut un silence qui me parut durer une éternité. Puis :
« Détends toi, je plaisante ! Mais t’es quand même trop cher, d’ailleurs quand on se reverra tu prendras que 80€ parce que tes collègues dehors elles prennent pas plus. »

J’ai fait mine de rigoler à sa blague sadique, je lui ai dit au revoir et je suis partie. Ma voiture était garée à 500m. J’ai couru en pleine nuit dans la rue pour rejoindre ma caisse. Une fois dedans, je me suis enfermée à clé. J’ai agrippé le volant et j’ai hurlé. J’ai hurlé si fort que le lendemain, j’étais aphone. Je tremblais de partout. J’étais incapable de reprendre le volant. Je suis restée peut-être bien trente minutes dans le noir à pleurer, une fois les tensions évacuées, je suis repartie.
Je me suis dit plus jamais. Plus jamais je ne me prostituerais.

Mais moi… finalement, je me dis que dans mon malheur j’ai eu de la chance. J’ai pu m’en sortir comme je voulais, j’ai eu le luxe de pouvoir « trier » les demandes et « choisir » les hommes que je rencontrais (apparemment pas infaillible). Je n’ai pas de prostitueur, je suis de nationalité française, j’ai un travail à côté, me prostituer n’était pas une question de survie. Mais je pense à toutes ces femmes qui n’ont pas le choix, celles que je vois sur le bord des routes, à mes « collègues » ou plutôt aux victimes de la traite humaine qui sont à la merci des prédateurs. Elles, elles n’ont pas le choix. Elles, elles y sont obligées et doivent composer avec la peur de chopper une s****erie d’IST, de souffrir en tombant sur un mec violent physiquement et surtout d’avoir peur de mourir QUOTIDIENNEMENT.

Et je pleure.
A chaque fois que mon chemin croise leur route. Non, la prostitution n’est pas un travail. Et pour ces femmes qui n’ont pas le choix, les victimes de ce système horrible, il faut y mettre un terme. Les protéger. Mettre les moyens pour que cela cesse.

Ne pas lâcher. Ne pas autoriser. Ne pas légaliser.

Car ce serait dire aux femmes,  » Allez y, vendez votre corps, prenez 1001 risques pour le plaisir des hommes. Soyez traumatisées, on en a rien à foutre ».
Je ne souhaite ça à personne… D’avance, je m’excuse pour la longueur de mon texte et si je vous ai dérangé. J’avais besoin de ça, je crois. Merci encore pour ce que vous faites. Merci.

Publié par COLLECTIF CAPP

Collectif de survivantes de la porno prostitution et de féministes radicales.

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