« Ça n’en vaut pas la peine. Il faut ensuite négocier avec soi-même : « Vais-je faire des scènes de torture ? Vais-je faire du porno fétichiste ? Vais-je être… forcée ? »
Nous avons toutes et tous entendu justifier le porno par les mêmes vieux clichés :
« cela a aidé une étudiante à payer ses frais de scolarité », « c’est un moyen de mener un style de vie glamour », « elles le font parce qu’elles aiment le sexe ».
Mais comme souvent dans la vie, la réalité est bien plus compliquée. Selon Business Insider, cette vérité est que les femmes dans le porno n’ont jamais aussi peu gagné qu’aujourd’hui – et cela provient d’un rapport qui date d’il y a 9 ans, donc selon toute vraisemblance, elles gagnent encore moins qu’en 2012 parce que les sociétés pornographiques ont plus que jamais dégroupé.
Elles doivent participer à des scènes de plus en plus violentes, extrêmes, mentalement et physiquement dangereuses juste pour joindre les deux bouts dans une industrie dans laquelle elles font face à un cercle vicieux de double contrainte : celle de la pauvreté et la contrainte économique. C’est une tendance qui se confirme dans toute l’industrie, et qui ne fait qu’empirer.
Piratage du porno : Le prix et son impact sur la production
Il fut un temps où le porno était une industrie lucrative pour la plupart des personnes concernées (comprenez bien les proxénètes, appelés réalisateurs et autres « intermédiaires »).
Les magazines explicites étaient des machines à profits fiables. Les réalisateurs vivaient comme de grandes célébrités. Certaines rares « actrices » devenaient multimillionnaires (1). Mais aujourd’hui le porno est une industrie totalement remodelée depuis qu’Internet est devenu l’acteur principal de l’industrie pornographique.
Les raisons pour lesquelles Internet a rendu le porno moins rentable sont divers : les sites dits « Tube »(2) reposent largement sur du contenu piraté, ce qui signifie que les studios ne gagnent plus autant d’argent qu’avant, ce qui signifie que les victimes ne gagnent plus autant qu’avant. Vous voyez l’effet domino ?
Pour rappel, le plus gros acteur de l’industrie du porno est MindGeek, qui compte parmi ses filiales PornHub, RedTube et YouPorn (parmi d’autres acteurs majeurs du secteur comme Playboy), ainsi qu’une douzaine d’autres marques.

Si MindGeek a commencé par proposer des vidéos piratées par des créateurs de contenu, il a commencé ces dernières années à acheter ces vidéos. Bien que cela semble être une mesure positive contre le piratage, leur modèle a été qualifié « d’écosystème vampire » car les tubes en sont les principaux bénéficiaires. Par exemple, les producteurs créent des vidéos dans le seul but de les mettre en ligne sur des sites gratuits et MindGeek tire un revenu beaucoup plus élevé grâce aux publicités qui ne sont pas destinées à ceux qui ont participé à la production de la vidéo. C’est une situation où les tarifs des producteurs sont maintenus bas, mais en même temps, ils s’afflaiblissent sans l’aide d’un tube.
Les studios peuvent intenter une action en justice contre les sites dit tubes, mais cela prend du temps et de l’argent, en fin de compte cela n’en vaut pas souvent la peine.
De plus en plus de personnes « interprètes » adoptent des modèles par abonnement, dans lesquels ils filment leurs propres scènes et les vendent sur la base d’une adhésion/abonnement, mais cela ne fonctionne souvent que pour les stars les plus connues, laissant les autres victimes du système moins reconnus besogner avec des studios dans l’espoir de réussir.
OnlyFans est une plateforme pour « adultes » que les « modèles » utilisent pour s’éloigner des grosses productions de l’industrie pornographique, mais même ce site présente un certain nombre d’inconvénients en termes de participation et de coûts associés.
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La douleur paie plus
La prolifération du porno accessible facilement par internet a eu une autre conséquence involontaire. Les profits ayant chuté, les victimes sont davantage poussées à filmer des actes plus extrêmes car ils rapportent plus.
Pour faire court, la douleur paie. Une scène comportant des actes extrêmes et violents peut rapporter entre 1 200 et 2 400 dollars, alors qu’une scène « standard » peut lui rapporter 800 dollars ou moins. Mais ne vous méprenez pas, cet argent ne va pas directement dans sa poche.
Il est facile de comprendre alors comment les victimes de cette industrie se retrouvent à subir des scènes de plus en plus extrêmes, même si elle n’est pas à l’aise pour le faire, et même si une grande partie de ce qu’elle gagne sert à payer des factures médicales.
Cette situation créé donc deux catégories de victimes : celles qui acceptent des scènes de plus en plus violentes et extrêmes, qui survivent, probablement pendant quelques années si elles ont de la chance ( ce n’est plus un cercle mais une spirale ); et celles qui n’y arrivent pas et qui se retrouvent en marge de l’industrie, sans issue et avec très peu d’autres options.
Cette spirale alimente la demande de scènes de plus en plus violentes et extrêmes, créant un climat dans lequel chaque scène doit être plus extrême que la précédente si l’on veut qu’elle soit rentable pour les réalisateurs, les studios et lors d’une courte durée pour les victimes tant que le corps tient le coup ou que les conséquences mettent plusieurs années à émerger par cumulation.

L’industrie amène donc les victimes à penser qu’il est plus lucratif d’étoffer son CV pornocriminel en y incluant les scènes les plus extrêmes, mais une fois qu’une « actrice » a accepté de tourner une scène violente, elle créé un précédent pour les scènes futures qui placeront la barre toujours plus haute. L’industrie pornographique a également créé un système vicieux dans lequel la victime qui consent, avant un tournage, à des actes sexuels plus « brutaux », finissent par être exploitées et violées encore plus violemment, même après avoir accepté les actes extrêmes. Il est presque impossible pour le corps de ces victimes de répondre à la demande des consommateurs de plus en plus en demande de violences, mais les conséquences sur le plan mental et émotionnel s’accélèrent.
Une spirale à laquelle vous ne pouvez pas echapper
Il n’est pas difficile de comprendre comment une femme peut se laisser entraîner, surtout lorsqu’elle est jeune, pauvre, vulnérable et qu’elle pense que s’en sortir c’est se faire un nom d’une manière ou d’une autre.
Les véritables « stars », celles qui sont au sommet de l’industrie et qui ont un semblant de possibilité de « choix » des scènes qu’elles font et de monter une affaire en dehors de l’industrie, peuvent gagner plus de 350 000 dollars par an. Évidemment cette situation demande de s’allier et de ne s’entourer que d’hommes de pouvoir, les femmes de pouvoir étant inexistantes dans ce milieu.
De l’autre côté, les femmes dites « moyennes » peuvent aujourd’hui gagner 50 000 dollars. Cependant elles doivent assumer une grande partie des frais, qui sont les déplacements, le maquillage, le marketing, la communication et autres dépenses liées (lingerie, soins, épilation, gel anesthésiant, éponges, drogues … des frais que les hommes n’ont évidemment pas). Ainsi, en tenant compte de ces autres dépenses, si elles tournent plusieurs scènes par semaine, cela représente en fait des milliers de dollars de moins que le salaire moyen.
C’est ce que nous révèle Stella May dans le documentaire Hot Girls Wanted, disponible sur Netflix :
« En quatre mois, j’ai gagné 25 000 dollars. Mais on se laisse aller à la dépense. A l’arrivée, je n’avais plus que 2 000 dollars. »
John Anthony, un « acteur porno » le confirme dans une interview :
« Elles savent pour la plupart que ce vers quoi elles s’engagent est un piège, (…) mais elles y vont quand même, en espérant tirer leur épingle du jeu. »
Il explique que ces femmes rentrent dans le porno avec l’idée de devenir célèbre dans dix ans, mais qu’une telle carrière ne dure dans le meilleur des cas qu’un an.
Cette vérité, la « star » Mia Khalifa l’a aussi vécu. Après de millions de visionnage des vidéos où elle apparaît sur Pornhub, la réalité est tout autre :
« Les gens pensent que je gagne des millions avec le porno. C’est complètement faux. J’ai gagné un TOTAL d’environ 12 000 $ dans l’industrie et je n’ai jamais revu un centime après ça. La difficulté à trouver un emploi normal après avoir arrêté le porno était… effrayante. »
Selon Rashida Jones, productrice et réalisatrice du documentaire Hot Girls Wanted :
« Le salaire peut être de 800, 1 000 dollars par tournage, mais elles doivent encore payer pour les cheveux, les ongles, le maquillage, les voyages et les vêtements – en plus, elles essaient de vivre de manière somptueuse, donc ça finit par ne pas être rentable. Cela n’en vaut pas la peine. Il faut ensuite négocier avec soi-même, par exemple : « Vais-je faire des scènes de torture ? Vais-je faire du porno fétichiste ? Vais-je être… forcée ? »
Poussé à l’extrême
Il existe de nombreux reportages sur des victimes de l’industrie qui se lancent dans le porno parce qu’on leur promet la gloire et la fortune, ou parce qu’elles ont été trompées, contraintes ou forcées à le faire. De plus en plus souvent, ces femmes doivent recourir à la prostitution pour survivre. C’est une évolution considérable par rapport à l’industrie d’il y a 15 ou 20 ans. Nous sommes en 2021, et la pression du profit n’a fait qu’augmenter ( par le biais des réseaux sociaux, mettant en scène la glamourisation de la vie de ces femmes) ce qui a modifié le secteur d’une manière qui cause des dommages physiques et émotionnels violents, réels et durables aux personnes prises dans le cycle de la violence et des violences croissantes.


Par Iris Di Rosa
(1) Rare car la majorité des « stars » finissaient mal à l’époque aussi. Prenons l’exemple de Dana Plato, célèbre actrice qui a sombré dans l’industrie porno par pauvreté, droguée. Elle finira par se suicider le 8 mai 1999 pour mettre fin à ses souffrances. / Karen Lancaume, exploitée par Dorcel durant des années, finira dans un film de Virginie Despentes faussement féministe qui l’achevera. Elle se suicide deux ans après la sortie de celui ci, des suites de cette exploitation et ces conséquences en 2005. / La célèbre Lolo Ferrari, morte le 5 mars 2000 en ayant ingéré une forte dose de médicaments. / Aujourd’hui, le génocide continue et s’accélère par l’augmentation de la violence : August Âmes, « star » du porno, se suicide en 2017 à 23 ans. /Tera Wray, « star » du porno, se suicide en 2016 à l’âge de 33 ans./ Amber Rayne, morte d’une overdose à l’âge de 31 ans.
(2) Les sites « Tubes » est un terme abrégé pour un site Web porno avec une interface similaire au modèle YouTube, c’est-à-dire des vidéos téléchargées par les utilisateurs, un système de goûts/dégoûts, nombre de vues, commentaires, etc.